Bilan du COVID 19: point de vue d'une enseignante



Aujourd'hui, nous sommes le 8 juin 2020...Cela fait donc presque 3 mois que nous avons vécu ce fameux vendredi 13 mars 2020, jour où on nous a annoncé que les écoles allaient fermer leurs portes...Jusqu'à nouvel ordre...
Je me suis dit pendant le confinement que je ferais bien de prendre des notes, parce que ce qu'on vit cette année sera sans doute une étape cruciale dans nos vies, dans celles de nos enfants, de nos élèves, de tout le monde. Nous vivons un moment historique, une crise sanitaire que le président a même qualifiée de "Guerre sanitaire"...

Je fais donc un petit bond dans le passé pour vous raconter ce fameux vendredi 13 mars, qui ne fut pas un jour de chance à mon sens...La veille au soir, le président a fait son allocution, spécifiant qu'à compter du lundi 16 mars, toutes les écoles de France fermeraient leurs portes, que les cafés, les restaurants, les cinémas seraient clôts jusqu'à nouvel ordre...Etape 1 après le discours...L'euphorie...L'euphorie du vendredi, où, en quelques heures, il a fallu préparer des fiches d'exercices à tour de bras, distribuer des manuels de lecture qu'on a trouvés au fond de la bibliothèque et qu'on n'a jamais utilisés cette année, parce qu'on nous a dit "donnez un maximum de travail, on ne sait pas quand on reviendra". Laisser nos élèves aux AVS et surveillants de l'école (j'en ai de la chance, nous, on a pu s'organiser comme cela, 1 heure par classe), faire répéter aux élèves dans quelle pochette ils rangeraient leur futur travail en français, leur futur travail en maths...Photocopier des centaines de feuilles, les prendre en photos pour s'en rappeler une fois confinés à la maison, appeler ma binôme pour savoir si elle avait d'autres idées. Tout faire dans le stress, la précipitation...Et puis, une fois de retour en classe, surtout paraître calme et détendue devant les enfants, leur dire que tout allait bien se passer, en ayant peur soi-même (fermer des écoles, on n'avait jamais fait ça, sauf durant la seconde guerre mondiale...ça devait être vraiment grave alors !). Passer toute l'après-midi à faire ranger des fiches de travail aux élèves, vérifier 4 fois que les cartables ont été faits correctement, commencer à paniquer légèrement quand plus personne n'écoute, hausser le ton, leur dire plusieurs fois que "non, vous n'êtes pas en vacances les enfants, il faudra travailler, je compte sur vous !".
Partir le soir, stressée du stress de la journée, et puis...Plus rien...

Enfin plus de contact avec les enfants. Parce que finalement, on prend contact très rapidement avec les familles. Sont décidées des adresses e-mail pour chaque classe de l'école, qu'il faut rapidement maîtriser. Contacter rapidement les familles. Leur donner rapidement des infos. Décider rapidement du fonctionnement de l'école à distance. Rapidement. Et pourtant, tout se met tranquillement en place, les parents sont aussi stressés que nous, voire beaucoup plus. Certains sont en chômage partiel et encaissent la gestion de l'école à la maison, d'autres doivent gérer leur propre télé-travail et les devoirs des enfants, et puis d'autres encore sont totalement dépassés. Et ce sont ceux-là qui commencent à nous appeler "à l'aide" en premier...
Rassurer, conseiller, expliquer, filmer des vidéos, détailler les devoirs, téléphoner, et puis recommencer...
Rassurer, conseiller, expliquer, débattre, se justifier, écouter, remercier... Et puis recommencer... Rassurer, conseiller...Lire les mails de remerciement...Lire les encouragements des parents...Observer nos relations qui changent...Recevoir des photos des enfants...Des vidéos aussi...J'ai fêté mes 25 ans, pendant le confinement...."Alors, maîtresse, il était comment ton gâteau? Tu m'envoies une photo ?", "Tiens Martin, voici une photo, un gâteau 3 chocolats, je suis sûre que tu l'aurais aimé, celui-là !". "Maureene, je te souhaite un bon anniversaire, prends un bon apéro avec ton amoureux, dans ta nouvelle maison ! Gros bisous! Ah, tiens maman  elle te fait un bisous aussi ! ". Merci...
Créer des drives, des padlets, passer des heures sur internet à la recherche d'idées de bricolage à faire avec leurs parents, d'idées de recettes de cuisine, enregistrer des liens pour plus tard...

Réapprendre son métier, parce qu'il change beaucoup en ce moment...S'engager à venir à l'école garder les enfants des soignants. Trouver cela normal d'y aller soi-même, et comprendre que d'autres ne veuillent pas ou ne puissent pas le faire.
Entendre parler de la prime pour les soignants et les enseignants, et lire des commentaires sur les réseaux comme quoi, non, on ne la mérite pas...Entendre ses collègues dire que le télé-travail c'est compliqué, mais qu'ils entendent dire qu'un jour, on nous remplacera bien par des ordis, et que l'école comme on l'a connue, c'est fini... Non, je ne suis pas d'accord avec tout ça, la prime, on la méritait AVANT le Covid, tout comme les soignants, et je ne cracherai pas dessus quand on l'aura ! Non, je ne suis pas d'accord, un ordinateur ne remplacera JAMAIS le lien entre un élève et son enseignant, parce qu'il ne sera jamais autant à l'écoute et autant disponible que nous le sommes...

Le temps a passé, et le 12 mai dernier, nous avons eu le droit de retourner dans les écoles, et d'accueillir des enfants. On nous a dit "Vous n'êtes plus obligés de gérer le distanciel, si vous faites le présentiel". Mais on a continué de le faire, parce qu'on avait mal au cœur de laisser les élèves restants à la maison avec leurs parents, livrés à eux-même. On nous a dit "les enfants ne sont plus contagieux, les scientifiques se sont trompés". Mais on nous a aussi dit: "Masque obligatoire, pas de contact, 4m² pour un élève, lavage des mains 8 fois par jour, on ne touche pas les affaires des enfants, on reste éloignés, on applique le protocole sanitaire...". Des collègues ont dit: "Arrêtez de faire vos chochottes, il faut bien retourner un jour dans les écoles"...Mais moi, j'ai EU PEUR, comme beaucoup d'autres, en fait, et je trouve cela NORMAL et LEGITIME. Je crois que je n'ai été rassurée que lorsque j'ai revu mes élèves... Leur propre peur a évincé la mienne. Leur besoin de réconfort a été plus fort que mon stress. J'ai eu besoin d'aller de l'avant pour eux. Et j'ai réussi...mais avec eux !

Aujourd'hui, nous sommes lundi 8 juin 2020. Nous, enseignants, portons encore des masques à l'école. Nos élèves sont toujours répartis en 2 voire 3 groupes de travail et accueillis 2 jours par semaine. Nous ne pouvons toujours pas accueillir tous nos élèves en classe, ni toucher leurs cahiers, ni leur mettre un voisin à côté d'eux. Ils sont toujours parqués dans des "zones" à la récréation, ils se lavent toujours les mains 8 fois par jour, ce qui nous prend en tout 2 heures dans notre journée d'école...C'est 1/3 de notre temps de présence à l'école. Aux infos, on nous dit que désormais c'est sûr, ce ne sont pas les enfants qui transmettent le plus le virus. On peut être rassurés. On entend aussi dire que les écoles ou les mairies n'en font pas assez pour ouvrir et accueillir plus d'élèves... Ce discours me laisse sans voix. Quand on voit le bazar pour respecter les règles de distanciation et les gestes barrières... Mais quand ce cirque protocolaire va-t-il s'achever ? Nous n'en savons rien...

Aujourd'hui, j'avoue que je suis démotivée. La fin de l'année scolaire approche, et d'habitude, je peux faire un bilan de mon année en me disant "mes élèves ont appris des choses, ils ont grandi". Cette année aussi, je peux dire que mes élèves ont appris et qu'ils ont grandi grâce à leur famille, mais je vois aussi clairement dans mes 3 écoles des écarts sociaux qui ont totalement nivelés la classe. Je vois et je salue les efforts des parents, parfois des grand-parents, qui ont fait l'école à la maison pour leur(s) enfant(s), toujours avec cette fausse idée, source de pression, de se dire "Il faut faire aussi bien que la maîtresse, sinon il sera en échec scolaire". Je vois tout cela, je sens le travail fait par chacun chez lui, j'admire la proposition d'organisation faite par les parents à la maison...Quel investissement !

Mais je suis démotivée par cette organisation qui ne me convient pas. Par cette gestion à la fois en distanciel et en présentiel qui nous fait sacrifier des week-ends en famille, des soirées. Je suis fatiguée aussi, de donner des conseils aux parents qui font toujours l'école à la maison, parce que d'habitude, l'école, c'est moi. Enfin c'est nous, les enseignants, les AVS, les AESH, les directeurs et tous les autres... Avec les parents. 

Alors, après avoir fait ce bond dans ce passé encore si proche de nous, j'ai envie de me projeter dans 3 mois, pour la rentrée de septembre, et j'ai l'espoir de retrouver une classe au fonctionnement presque normal. Cette crise sanitaire nous permet quand même de réaliser que travailler en effectifs réduits est bénéfique pour tous les enfants, surtout les plus introvertis qui osent enfin prendre la parole, et qui prennent leur place dans la classe plus facilement. Ces petits groupes, qui nous permettent aussi de venir plus facilement travailler avec chaque enfant, d'individualiser le travail, comme on nous demande de le faire en temps normal avec 30 enfants par classe. Et quel confort sonore, que d'avoir seulement 14 élèves, au lieu de 30 !!! 
Pour la rentrée qui s'annonce, j'espère que nous pourrons conserver ces effectifs réduits, le bien-être et la reprise normale de la scolarité de chaque élève en dépend, même si une réorganisation globale de l'école devra être nécessaire pour y parvenir... 
Et surtout, surtout, au-delà du point de vue scolaire, au-delà de ma vision de maîtresse, j'espère que nous garderons ces petits temps instaurés en classe pour parler des émotions de chaque enfant, après cette période sans aucun doute traumatisante pour eux. 



Je tire mon chapeau à toutes les familles qui ont pris le relais !

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